L’Abbé Guérin, pour autant que l’on sache actuellement, n’a rien dit ou écrit concernant son enfance. Il est cependant probable que, comme tant d’autres, il apprit de sa mère, avec les rudiments de la foi, à aimer et prier “la Bonne Vierge”.

Né à Laval en 1801, Michel Guérin a certainement, petit, fréquenté souvent, outre l’oratoire de Notre-Dame d’Hydouze, le sanctuaire de Notre-Dame d’Avesnières, préservé des destructions révolutionnaires, et entendu vanter les miracles de la Patronne et Protectrice de la ville. Invoquée depuis des siècles par les Lavallois en toutes leurs nécessités, même les plus humbles, Notre-Dame d’Avesnières est le recours universel dans les grandes comme dans les petites tribulations de l’existence, Celle à qui l’on peut recourir en toute confiance. L’abbé GUERIN ne l’oubliera jamais.

Une dévotion fortement ancrée

L’enseignement qui lui sera ensuite dispensé au séminaire du Mans ne fera que renforcer ces certitudes. À s’en fier aux citations dont il émaille ses

premiers sermons, Michel Guérin paraît avoir trouvé dans les écrits de Saint Bernard et Saint Bonaventure l’écho de ses propres sentiments, son propre amour, sa propre foi envers Notre-Dame. Rien là que de très classique, et conforme à l’enseignement alors dispensé, mais qui dépasse, à l’évidence, le rabâchage et la leçon bien récitée.

En 1832, dans le premier de ses sermons en notre possession, “La dévotion à la Sainte Vierge”, l’abbé Guérin, jeune vicaire à Saint-Ellier du Maine, cite Saint Bernard : “Qu’on ne me parle plus de la miséricorde de Marie s’il se trouve quelqu’un qui puisse dire qu’il L’a invoquée sans être secouru,” paroles figurant presque à l’identique dans la très célèbre prière composée par l’abbé de Clairvaux, le “Souvenez-Vous”. Or, à l’évidence, et toute sa vie le démontre, l’abbé Guérin est absolument convaincu qu’il est impossible de recourir à Marie sans en obtenir de l’aide.

Certes, prudent et avisé, peut-être lecteur de Louis-Marie GRIGNION de MONTFORT et de son Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, l’abbé GUERIN ne préconise pas le recours à Notre-Dame comme à un grigri qui permettrait, en échange de quelques prières hâtivement bâclées, d’éviter de se perdre sans remédier pour autant à ses défauts ni chercher à sortir du péché. Il estime, au contraire, que Marie subordonne son intervention et son intercession aux dispositions de celui qui La prie. Il La compare à un ami puissant dont on aurait gravement offensé le père et dont on réclamerait l’aide afin d’obtenir le pardon de l’offensé. Mais comment obtenir cette aide si l’on continue, dans le même temps, d’insulter ?

Marie ne nous oublie pas

On se gardera, toutefois, de voir là une démonstration de rigorisme. L’abbé Guérin, se référant à la vie de sainte Catherine de Sienne, rappelle l’histoire d’une pécheresse publique que ses concitoyens, las de la voir persévérer dans ses fautes, avaient bannie de la communauté. La pauvre femme était morte seule, sans repentir apparent, de sorte que tous, même Catherine, la pensaient damnée. Or, la défunte lui apparut et lui annonça qu’elle était sauvée, pour en avoir, à la dernière minute, appelé à la miséricorde de la Vierge immaculée. Cela avait suffi. N’est-ce pas, d’une certaine façon, la préfiguration du message de Pontmain : “Mais priez, mes enfants” qui, comme le soulignait Eugène BARBEDETTE, met l’accent sur la nécessité première de la prière sincère afin d’être exaucé, et exaucé “en peu de temps” ?

Ce sermon de 1832, si long que l’abbé GUERIN dut certainement le prêcher plusieurs dimanches d’affilée, plein de maladresses de débutant et qui sent encore les leçons du séminaire, est pourtant révélateur de cette confiance intangible, extraordinaire du prêtre envers la Mère de Miséricorde, l’un des titres de Notre-Dame qu’il préfère. “Quelle puissance ne doit pas avoir la Mère de Celui qui commande à toute la nature”, demande-t-il, avant de citer ces paroles de Salomon que l’Église applique au Christ et à Marie : “Demandez, ma Mère, car Je ne puis rien Vous refuser”.

Cette certitude, l’abbé GUERIN la répète, sans se lasser, à son “petit peuple”, notamment dans un autre sermon, des années 1860, consacré à l’Assomption, où il affirme que, même montée au Ciel et glorifiée, “Marie ne nous oublie pas”. Et il le redit encore alors même qu’en ce tragique hiver 1871, à vues humaines, tout semble perdu et que ses ouailles, suffoquées de détresse, lui disent : “On a beau prier, le Ciel ne nous écoute pas !”

Sans doute pense-t-il encore ce qu’il pensait cinquante ans plus tôt : “C’est que nous n’avons pas mis la Mère de Dieu dans nos intérêts”. Pour mieux lui donner raison, l’apparition de Pontmain se produira au moment où, justement, la France à genoux se tournera vers Notre-Dame. Ce 17 janvier 1871 voit en effet se multiplier les vœux solennels des Lavallois à Notre-Dame d’Avesnières, des Briochins à Notre-Dame d’Espérance, nom sous lequel Mgr WICART reconnaîtra l’apparition, des Lyonnais à Notre-Dame de Fourvière, des Parisiens à Notre-Dame des Victoires, sanctuaire particulièrement aimé de l’abbé GUERIN, qui s’était affilié dès 1837 à l’archiconfrérie fondée en sa paroisse par l’abbé DUFRICHE-DESGENETTES.

Le curé de Notre-Dame des Victoires avait eu l’inspiration de cette fondation alors qu’il désespérait de ramener à Dieu sa paroisse, l’une des plus déchristianisées de la capitale. Toutes proportions gardées, il semble que l’abbé GUERIN, quand il prend possession de sa cure, à la fin de l’année 1836, se trouve dans des sentiments assez voisins. Bien sûr, Pontmain n’est pas le quartier de la Bourse à Paris, les idées révolutionnaires y ont certainement causé moins de dégâts à la religion mais la situation, il le savait en acceptant le poste, n’est pas réjouissante.

mettre la Mère de Dieu dans ses intérêts

À travers ses diaires et ses sermons, apparaît en filigrane l’image d’une communauté encore déchirée par les suites de la Révolution, toujours partagée entre Blancs et Bleus, même si le nouveau curé, nonobstant ses sentiments politiques personnels, s’efforcera avec bienveillance d’obtenir l’oubli mutuel des offenses, voire des crimes. Beaucoup se sont éloignés de la pratique religieuse, d’autres ne pratiquent plus que par convenances sociales. Tableau des plus banals à l’époque mais qui le désole. L’abbé GUERIN veut ramener les brebis égarées au bercail, ressouder sa communauté, en faire un seul peuple chrétien uni et unanime. Il va pour cela “mettre la Mère de Dieu dans ses intérêts” et prendre toutes les mesures qui lui semblent nécessaires et utiles.

Dès le mois de janvier 1837, deux mois après son installation à Pontmain, il s’affilie, et affilie sa paroisse, à l’archiconfrérie de Notre-Dame des Victoires. Se souvenant que la gloire première de cette église est venue d’apparitions mariales nocturnes, en novembre 1637, au cours desquelles Marie apparut au frère Fiacre revêtue d’une robe étoilée, l’abbé GUERIN fera décorer la voûte de son église restaurée de ces mêmes étoiles, qu’il dessine en marge de ses sermons, comme si cette image empruntée à l’Apocalypse de la “Femme couronnée d’étoiles” lui parlait particulièrement. Or, l’apparition de Pontmain, nocturne, comme celles de 1637, où Notre-Dame porte à nouveau la robe étoilée, se produit à l’instant précis où, à Paris, le vicaire de la basilique des Victoires, l’abbé AMODRU, prononce devant une foule immense un vœu à la Sainte Vierge réclamant l’arrêt des combats.

L’abbé GUERIN, qui ne perd jamais une occasion de rappeler le patronage de Notre-Dame sur notre pays, et de la saluer de son titre de Reine de France, donné par Louis XIII à la suite des apparitions à frère Fiacre, verra là une série de signes remarquables.

Quand il est arrivé à Pontmain, l’abbé GUERIN a trouvé sa paroisse sous le patronage des apôtres Simon et Jude, Notre-Dame étant patronne secondaire. S’il passera une bonne partie de sa vie à tenter d’obtenir des reliques des deux apôtres, il souhaite surtout rehausser la protection mariale.

On connaît l’épisode de l’achat, sur ses maigres ressources, de ces statuettes en faïence, typiques de l’artisanat local, de Notre-Dame qu’il offre à chaque famille et vient introniser protectrice du foyer, gagnant auprès de ses confrères le surnom de “curé aux Bonnes Vierges”. Dans le même temps, il reprend l’usage, instauré par un précédent desservant, l’abbé BARIN, avant la Révolution, de faire dire quotidiennement le chapelet à ses ouailles. Il obtient aussi de l’évêque du Mans, Mgr BOUVIER, le 25 avril 1838, de maintenir l’ancien usage de chanter les litanies de la Vierge chaque premier dimanche et aux grandes fêtes mariales. En 1838, il reçoit de ses donateurs attitrés assez d’argent pour remplacer l’ancienne statue de la Sainte Vierge, sans valeur, installée dans l’église après les déprédations révolutionnaires dont il fera cadeau à la chapelle du Chêne Jouanne en Saint-Mars-sous-la-futaie, par une autre, toujours en place, solennellement installée et bénie le 25 mars, fête de l’Annonciation. En 1843, il accueille en grandes pompes des “reliques du sépulcre de Notre-Dame” ; puis, en octobre 1845, une statuette de Notre-Dame des Victoires. En mai 1846, l’abbé GUERIN organise pour la première fois la célébration du mois de Marie et entreprend de récolter des fonds afin de bâtir dans le prolongement de l’église une chapelle dédiée à Notre-Dame. Une fois de plus, il trouve l’argent ; la nouvelle chapelle est inaugurée le 31 octobre 1850.

À cette occasion, l’abbé GUERIN déclare : “Nous avons la ferme confiance que cette bonne et tendre Mère, notre Avocate et notre Patronne, sous la protection de laquelle je mets ma paroisse, intercédera pour nous auprès de Son divin Fils. […] Fasse le Ciel que, sous la protection de Marie, nous ne périssions jamais”.

Rarement confiance fut mieux placée.